L'annonce faite à Samy


   Samy découvrit son visage dans la vitrine du nouveau coiffeur : il avait l'air d'un radoteur contredit, d'un champion disqualifié. Pour sa première sortie, à l'issue d'un énième confinement, notre homme avait suivi une amie dans un squat plus ou moins municipal où se tenait une fête féministe. Il y avait rencontré Ciara, assise derrière son stand d'éditions cartonnées. Samy avait une marotte : les amazones. En plus de s'adonner à une collection de figurines dont on ne savait, du string ou de l'épée, ce qui était le plus impressionnant, il ânonnait la nuit venue, sur un vieux magnétophone, les victoires imaginaires d'une vaillante guerrière sur d'abominables mâles alpha aussi butés que des vieux notaires. Il avait proposé à Ciara une de ses histoires stupéfiantes. L'éditrice ne s'était pas spécialement emballée et puis les deux s'étaient perdus de vue, s'étaient reperdus de vue, s'étaient retrouvés, s'étaient réchauffés… une publication cartonnée des affabulations de Samy avait vu le jour aux éditions Vaqualnão (Vagina da qual você não voltar)

  Samy surfait désormais sans restriction de postures, du créateur reconnu à l'amoureux transi jusqu'au moment où Ciara déclara refuser toute pénétration. Le lendemain, un festival d'auto-éditeurs de première importance la ravit à un Samy semi-sonné. Il se retrouvait seul, perdu dans des affres shakespeariennes, au milieu d'étagères peuplées d'amazones en plastique moulé. Et puis cette litanie qui tournait petit vélo : "Comment jouir sans pénétrer ?". Il n'avait pas connu pareille confusion depuis sa première escapade automobile, en tant que conducteur récemment certifié. Pouvait-il jouir par les parfums ? Pas de chance, ce midi là il cuisinait des flageolets. Par les couleurs ? Le rouge (cependant énervant, épuisant à la longue), le noir (comme Gainsbourg, un chanteur du siècle dernier), les pastels (il se mit à songer à Barbapapa, à Barbidouille…) ? Il se souvint des confessions d'une amoureuse qui jurait atteindre l'ataraxie par le contact de sa peau nue avec le soleil et l'air salin… derechef il prit le bus pour le centre aquatique / ligne C / directe. Des murs lépreux et une abominable odeur de chlore ne purent rien pour lui. Seules les images bondissantes des formes de Ciara opéraient sur sa libido. Et il accélérait tout cela pour produire un cycle fou : Ciara en gloire entrant dans la baignoire ou chair de poule sous un porche. A désespérer. Lui qui se croyait plein d'un imaginaire érotique se découvrait presque tari. L'aridité d'un obsédé qui finirait rabatteur pour site porno. Ciara avait capté et ne reviendrait plus. Comme on l'imagine, la nuit ne porta pas conseil mais, vers neuf heures du matin, un texto de son éditrice préférée le rasséréna. Intoxiqué par la propagande quotidienne du défi relevé et réussi dans un jus de résilience, il se jurait d'offrir à sa bien-aimée les plus merveilleux trésors qui salueraient, avec son retour, une entente sexuelle bientôt retrouvée.

  Offrir, offrir… mais, avant d'être un cadeau pour l'autre, encore fallait-il s'auto-réjouir. Il se mit à douter de son régime alimentaire : une litanie de pommes de terre ou de pâtes fraiches, avalées en pensant à autre chose. Autant la paresse pouvait être la bienvenue dans une usine d'armement, autant elle compromettait la fabrique du plaisir. Il se surprit à regarder d'un drôle d'air un paquet d'haricots rouges. Il allait trop loin. S'était-il assez donné ? S'était-il assez consacré corps et âme à l'autre sexe ? Surement pas ! Ses étagères, encombrées de nymphettes vengeresses, brillaient par l'absence du moindre traité de sexologie. N'était-il qu'un énième égoïste ivre de possession, un de ces béliers moyenâgeux à fuir comme la peste ? Les doutes revenaient, assassins, destructeurs comme la vague d'équinoxe qui ronge la falaise des fous. A seize heures, il avait défailli du tapis de course de son voisin et ami. A seize heures trente, on lui avait posé un ressort dans une artère coronaire. A dix-sept heures il s'endormait, fourbu, au service des soins intensifs.


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