Popov
Il fallait être sacrément optimiste pour confondre cette procession contre la peste avec un début d'émeute, mais Véro n'avait que dix-sept ans, moi seize et jamais nous n'avions vu pareille foule sur le boulevard de Courtais. Dunlop était en cessation de paiement et la nouvelle jetait tout le monde dehors. L'usine de Montluçon employait près de trois mille personnes ; si elle pliait, la ville plierait. Les communistes la tenaient depuis six ans. Les bisbilles de l'Occupation, de la Libération, de la Décolonisation couvaient toujours et la récente victoire de l'Union de la gauche n'arrangeait rien. La rumeur prêtait au maire une ascendance juive, décrivait une municipalité-géhenne pleine de "Popov" se partageant les postes sans en peler une. De même, on supposait le malheur frappant Dunlop comme le fruit de la paresse et de l'ivrognerie des ouvriers. Comme en 40, l'esprit de jouissance l'avait de nouveau emporté sur l'esprit de sacrifice. Pas question de blâmer la hiérarchie, seul le trouffion paierait. S'il ne s'était trouvé que le capitaine du Titanic pour couler avec son navire, n'était-ce pas parce qu'il partageait sa table avec des vies précieuses, des vies de riches que sa négligence condamnait ? Sur le rafiot montluçonnais une partie des passagers diabolisait en priorité le rouge, "l'œil de Moscou". En cet automne 83, tout était bon pour donner un coup de pied aux promoteurs du "socialisme municipal qui dorlotait les feignants".
Illustration : La Montagne Montluçon - Octobre 1983
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