Jules Nepos - tragédie en un acte et des bananes

 Une chambre du palais de Ravenne. L'empereur Jules Nepos entre, l'air las, et jette sa couronne sur le lit

Jules Nepos : Allez ! Bonne nuit, Rome éternelle !

Il s'assoit sur le lit, prend un parchemin et écrit

Aujourd'hui, 4 Mars 475. Temps clair et frais. Depuis combien de temps n'ai-je pas pris de vacances, moi ? Des vraies qui vous reposent l'impériale caboche ? Aucune depuis l'assassinat d’Olibrius... (soupirs) Décompter les jours en assassinats, tel est le privilège de l'empereur ! Lorsque Majorien fut étranglé, je voyais Claudia à l'hippodrome pour la première fois ; Quand le corps de Maxime Pétrone fut démembré, j'embrassais les lèvres de Claudia dans la lumière du printemps et tandis qu'une pierre au cou l'infâme Sévère coulait prestement dans le Tibre, nous prenions les eaux au bord de l'Adriatique. Que de sang versé pour avoir le droit de poser son derrière sur l'impérial paddock ! Et pourtant, a-t-on jamais vu chambre plus sinistre ni plus humide ?

Claudia : Encore en train de chouiner ?

Jules Nepos : Oups ! C'est toi ?!

Claudia s'asseyant d'un coté du lit : Non , c'est le fantôme de Brutus...

Jules Nepos : Ce que j'aime chez vous, c'est votre façon désopilante de dire « bonsoir »...

Claudia : Si tu crois que c'est drôle de te voir trembler toute la journée comme un vieux drap qui refuserait de sécher...

Jules Nepos : Au royaume des poisons, là où la moindre figue peut être mortelle, l'appétit déserte vite l'assiette ! (un temps) Avez vous passé une bonne journée, Brutus ?

Claudia badine : J'ai visité les derniers fonctionnaires du fisc, tôt ce matin. Pour m'assurer qu'ils travaillaient.

Jules Nepos : Non mais ! Vous cherchez l'émeute ! L’esbroufe en pleine semaine sainte !

Claudia fatiguée : Oulala ! Si on ne peut plus plaisanter! Rassurez vous, je suis allé aux thermes comme chaque mercredi ! Du reste, je ne m'y suis pas tellement amusée. On y parlait beaucoup de votre dernier projet : vendre l’Auvergne aux Wisigoths.

Jules Nepos : Ce n'est plus un projet. C'est fait en bonne et due forme depuis la troisième heure de l'après-midi.

Claudia : Quand vendrez vous la lune ?

Jules Nepos : Ce n'est pas vraiment une vente, c'est une sorte de location. C'est de l'usufruit qui nous portera bonheur. On a dit des Wisigoths beaucoup de méchancetés : ils sont plus travailleurs qu'on ne le croit. Lorsqu'ils auront retapé ou fait retapé les routes, ensemencé les champs et récolté la vigne, on récupérera la mise ! Et là, pas calmée !?

Claudia : Quand je pense qu'on vous a nommé empereur quand vous avez à peine la stature d'un épicier de nuit...

Jules Nepos : Empereur de nos jours et épicier de nuit, c'est la même chose ! On voit débouler les mêmes dangereux dans la boutique. La fiche de poste exige des trésors de tact et de fermeté, un peu de culot et beaucoup de souplesse !

Claudia : On entend le même genre de propos chez le boucher...

Jules Nepos collant un timbre : Depuis quand allez vous chez le boucher, vous ?!

Claudia : Depuis que tu es empereur...

Jules Nepos : Mais enfin, à quoi ça te sert ?

Claudia : À choisir mes morceaux de viande préférés. Pendant que vous bradez les bijoux de famille, je me prépare de somptueux steaks tartares !

Jules Nepos : Mais enfin Claudia !? Où avez vous appris cela ?

Claudia joyeuse : Chez Attila !

Jules Nepos : Chez Attila ?!?

Claudia À l'age de huit ans, j'ai été l'otage d'honneur d'Attila. Une toute petite parmi bien d'autres plus illustres. Encore un de ces contrats débiles passés entre mon oncle, feu l'empereur Léon et les Huns.

Jules Nepos : Ma pauvre douce tendre colombe ! Tu ne m'en avais jamais parlé !

Claudia : Vous ne me laissez jamais le temps de vous conter les plus belles heures de ma vie...

Jules Nepos : Comment ça ? Les plus belles heures ? Chez Attila ?

Claudia émue : Il m'a récité les plus grands poètes grecs et latins, m'a appris à monter à cheval sans me fatiguer et m'a offert les étriers que vous m'enviez tant. Et je ne parle pas du chamanisme, passionnant, ni du steak tartare renversant !

Jules Nepos sonné : Par tous les dieux ! Il est minuit et au cœur même de l'empire, dans la chambre sacrée, on fait l'apologie du barbare !

Claudia : Vous êtes infichu d'aligner deux vers, vous vous déplacez en litière, ignorez la recette de la plus simple des ratatouilles et vous osez traiter les Huns de barbares ! Si on vous lâchait cette nuit dans les forêts de Gaule, vous imploreriez le premier sanglier venu de vous prêter une truffe !

Jules Nepos : Empereur d'occident, je suis le seul élément stable au milieu du chaos ! Savez vous combien de barbares cette main a tués ?

Claudia : Oui... deux... accidentellement...

Jules Nepos : Bon, ben oui... je ne suis pas sanguinaire...

Claudia : Et c'est bien le dernier motif qui me pousse à rester à vos cotés : ça me repose de ma famille et de la cour !

Jules Nepos : Allez ! Je me couche !

Nepos se couche. Claudia s'assoit devant une coiffeuse et se brosse la chevelure en chantonnant un air étrange. Nepos lui aussi se met à chantonner

Jules Nepos un doigt dans le nez : Vole, vole, vole grand aigle ! Vole vers la victoire !

Silence. Claudia ne chante plus et continue sa toilette tandis que Nepos regarde fixement le plafond

Jules Nepos : Le plus inquiétant dans la chute des empires, ce n'est pas le fracas. C'est le silence.

Claudia : C'est votre première phrase sensée de la semaine !

Claudia se regarde une dernière fois dans un miroir puis se couche à son tour. Nouveau silence

Jules Nepos : J'éteins ?

Claudia : J'aimerais lire avant de m'endormir ; Ausone, puisque mes lectures vous intéressent ; Les épîtres.

Jules Nepos : Ça parle de quoi ?

Claudia : De la fragilité du monde...

Jules Nepos : Comme si le monde était une surface d'eau tranquille en apparence mais qu'un tout petit caillou peut venir troubler ?

Claudia arrête sa lecture, regarde Nepos puis vient se blottir contre lui

Jules Nepos ragaillardi : Cette semaine, j'ai échafaudé tout un système qui va résoudre l'ensemble de nos problèmes. Ce système entièrement neuf, je l'ai baptisé du doux nom de « socialisme scientifique » !

Claudia : Jules, la semaine dernière tu découvrais le « libéralisme à visage humain » après la « sociale démocratie » de la semaine précédente et le mois dernier tu fondais tes derniers espoirs dans le « fédéralisme européen ». Et nous en sommes toujours au même point...

Jules Nepos inquiétant : Parce qu'on manque de foi ! Rome manque de foi ! Mais moi Flavius Julius Nepos Augustus, j'en ai pour tout l'univers !

Claudia retourne à ses poèmes. Nepos est agité et tente d'écraser un moustique

Jules Nepos : Renoncer au souffle de Rome c'est dire adieu à l'eau courante, aux villas chauffées par le sol et aux routes qui mènent le voyageur et le marchand aux confins du monde !

Claudia : « Tant qu'il peut sceller un bon cheval en chantant un poème, le cavalier ne connaît pas de limites » dixit Attila.

Jules Nepos : Phrase de saltimbanque ! De saltimbanque qui préfère piller le bien d'autrui plutôt que de se préoccuper de la vie municipale !

Claudia À la vie municipale, ils préfèrent la rosée et le vent du soir...

Jules Nepos : Et bien soit ! Rome va connaître un hiver sans fin et toi, tu galoperas dans la rosée !

Claudia : Non contente de gâcher la vie de vos légionnaires, Rome a gâché la mienne comme celles de vos maîtresses !

Jules Nepos : Rome a toujours eu la prévenance de placer vos amants à des postes un peu dangereux mais oh combien illustres...

Claudia : Nous sommes pathétiques ! J'espère que l'Histoire gommera nos noms ! (elle gémit) Et cette douleur à l'épaule qui se réveille...

Nepos embrasse l'épaule douloureuse

Claudia : César fait ses débuts en chamanisme ?

Jules Nepos : Des débuts encore bien modestes

Claudia : Mais prometteurs. Voudrais tu me faire la lecture ?

Jules Nepos : Volontiers. Voyons, hum... hum... « Dehors le pouvoir s'échoue et, comme les méduses, rend inaccessible la plage de notre enfance. Alors voguons, soyons heureux, il est temps... ».

Pas mal... Ausone ?

Claudia : Non, moi !


FIN


 

Commentaires

  1. tiens ça me fait penser, est-ce que tu as lu ce bouquin sur la chute de l'Empire ? on doit avoir ça à la médiathèque... bisous, Matthieu
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