Grand glutéal

 

  «Je ne veux pas entendre parler d'argent en échange de mon travail. Ce que je veux c'est un atelier, une maison pour moi et mes élèves, une nourriture simple, des tuniques toutes simples, des conditions qui nous permettent de donner le meilleur de nous-mêmes. L'art commercial et bourgeois me dégoûte. Quelle tristesse de n'avoir jamais pu offrir mon travail à ceux pour qui il était créé ! Au lieu de cela, j'ai été obligée de vendre mon art à cinq dollars la place. Je suis dégoûtée du théâtre moderne qui ressemble davantage à un lieu de prostitution qu'à un temple de l'art : les artistes, qui devraient y occuper la place de grands prêtres, sont réduits à des manèges de boutiquiers pour vendre leurs larmes et leur âme à tant la soirée. Je veux danser pour les masses, pour les travailleurs qui ont besoin de mon art et n'ont jamais eu assez d'argent pour venir me voir. Je veux danser pour eux gratis, en sachant que ce n'est pas une publicité ingénieuse qui les a amenés là, mais parce qu'ils viennent chercher d'eux-mêmes ce que je peux leur donner.»
Isadora Duncan

  Le XIXème siècle voit les sociétés rurales traversées par des mouvements puissants et contradictoires : les normes et la standardisation qui ont modelé les armées occidentales débordent dans la vie civile. Les campagnes entament leur dépeuplement et les corps se plient aux cadences des usines. C'est un temps de marmites piégées entre anars et bourgeois bien que, dans le tas, on croise des bourgeoises nihilistes comme des libertaires furieusement inquisiteurs. Si la contrainte physique s'abat sur la toute nouvelle classe ouvrière, une autre corporation va entamer, paradoxalement et peut être en réaction, sa libération. Le ballet classique, école auto-proclamée de la rigueur et de l'excellence, continue pourtant de corseter toute velléité libératrice mais, dans une Russie impériale vermoulue, Nijinski et Diaghilev s'apprêtent à lui donner de furieux coups de boutoirs. Pendant ce temps, un vent souffle de l'entreprenante Amérique qui pousse deux expatriées à gagner l'Europe pour y renverser les tables : Isadora Duncan, sa nudité et sa science du spontané et Louise "Loïe" Fuller, en papillon dispensateur de flashs électriques très étudiés. Sans chaussons ni tutus, les deux amies mettent Paris à leurs pieds. Pas de recherche d’absolu ou d’aérien, leur danse retombe sur Terre et fait plier jambes et torses. Émanciperont elles les enchaîné-e-s ? Duncan n'en doute pas et part prodiguer ses cours pendant quelques années dans la Moscou révolutionnaire. Bien d’autres noms vont présider à la naissance de la "Danse moderne" (Ruth Saint Denis, Martha Graham ou Doris Humphrey) mais, avec leurs vies pleines de drames et d'aventures, Duncan et Fuller impressionnent pour longtemps les esprits, les pellicules et les manchettes de journaux. 

Photographie : Isadora Duncan avec ses élèves, les "Isadorables". On notera l'aspect détendu des élèves qui semblent former une joyeuse équipe autour d'Isadora. 

Commentaires

Articles les plus consultés