Gris de fer

  Parents pauvres de l'histoire militaire en général et de l'épopée impériale en particulier, les soldats du train des équipages charrient nourriture, vêtements et munitions vers le front et en évacuent malades et blessés. Créées en 1807, les compagnies du train remplacent les entrepreneurs privés qui, pour un service lamentable, réalisaient des plus-values colossales sur le dos des combattants. Si le trésor public s'en porte mieux, l'estomac du troupier ne ressent que peu de bénéfices : les fantassins de la Révolution et de l'Empire avancent à coup de marches forcées qui laissent le charroi loin derrière. Mal ravitaillées, les troupes françaises vivent sur les pays traversés. 
  A la création du corps, l'uniforme du train des équipages est en drap gris de fer avec revers, collet et retroussis brun-marron. Couleurs inversées pour les trompettes. Comme aucun exemplaire ne nous est parvenu, qu'avec le temps les échantillons de couleurs peuvent connaître des altérations, ce mystérieux gris de fer intrigue les costumiers. Est-il proche du gris argentin ou du gris de fer bleuté ? Le gris de fer des tringlots (surnom des soldats du train) correspond-il plutôt au célèbre bleu horizon des poilus ? Et si, selon l'époque, le nom désignait des couleurs différentes ?
  L'illustrateur américain Keith Rocco habille ses trois fourrageurs (deux conducteurs du train des équipages de la Garde impériale accompagnés d'un faucheur du bataillon d'administration) d'une nuance légèrement piquée de blanc proche d'un bleu horizon. En plus de l'habit-veste Bardin les grognards ont enfilé le pantalon de campagne de la cavalerie, un modèle charivari renforcé de cuir à l'entrejambe. Selon toute vraisemblance, la scène prend place durant la campagne de Belgique (15-20 juin 1815). Keith Rocco a parfaitement rendu les variations du drap sous la lumière et les intempéries. Autre détail bien vu d'une période politiquement trouble : si le soldat du premier plan arbore sur son shako non pas la plaque réglementaire du train mais celle de l'artillerie, ce n'est pas le cas de son camarade de droite qui a ôté les symboles royaux de sa plaque "Première Restauration". On a manqué de temps ou d'argent pour doter l'unité de nouvelles plaques frappées de l'aigle impériale. Petit bémol sur les passepoils (c'est à dire les liserés de couleurs qu'on aperçoit sur les vestes) : si Bucquoy les donnent bleu-indigo pour le train et écarlate pour le bataillon d'administration, le passepoil donné par d'autres auteurs au train des équipages de la Garde durant les Cent-Jours est chamois (orangé-jaune assez pâle).

Addendum de septembre 2021 : en consultant le site de Keith, j'ai pu constater qu'il avait revu sa copie pour donner une version plus classique de cet uniforme durant les Cent-Jours: les revers et collets sont désormais brun-marron passepoilés d'écarlate, la plaque de shako est redevenue réglementaire tandis que l'uniforme du soldat de droite demeure inchangé (ce qui en fait bien un ouvrier du bataillon d'administration de la Garde). Comme le précise Keith Rocco sur son site, il est difficile de savoir quelle tenue portait exactement la troupe durant la campagne de Belgique. Les uns ayant conservé l'uniforme prescrit sous la première Restauration quand les autres ont revêtu la tenue impériale qu'ils avaient conservée ou touchée récemment. Pour ne rien arranger, le trésor public devait depuis longtemps des sommes considérables aux ateliers de tailleurs qui n'ont pas toujours fait preuve d'une grande diligence pour livrer de nouveaux uniformes.




La tenue "Restauration" au passepoil chamois - Collection Moltzheim

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