La malédiction des tortues bleues

   C'est la toute fin de la terminale. Je révise sans convictions pour décrocher le bac. Je n'y crois pas une seconde et je pense repiquer pour m'offrir un tour gratuit d'internat. Lors d'une des dernières soirées avant l'épreuve, on est deux-trois en salle télé. Bien moins nombreux qu'il y a quelques jours, pour ce qui restera dans les mémoires comme le "Drame du Heysel" : une boucherie hooliganesque concoctée en direct via la Belgique. Mais ce soir, on reprend notre souffle devant une émission de variétoche assez con. Selon Marc, Sting va servir un nouveau morceau sur le plateau. Comme prévu, il déboule avec des choristes "Bécé Bégé", mais sans Police, et entame "If you love somebody set them free !". Si mon pote est assez enthousiaste, moi ça ne m'emballe pas plus que ça. On dirait de la musique pour croisière. Un truc pour quidam qu'a eu le bac, qui travaille depuis deux-trois ans et a fini par se maquer avec la meilleure copine de son ex. On est à mille lieues de Police. Enfin, passons. J'ai le bac de justesse. L'été est en pleine forme et Marc déboule chez moi avec "Le rêve des tortues bleues", ci-devant premier 33tours solo du blondin. Je fais tourner sur la platine parentale. Mise à part le titre qui clôture l'album - "Fortress around your heart" qui ressemble à un rebut de "Synchronicity" - rien ne m'emballe vraiment. Pourtant l'année 86 va être placée sous le signe des tortues bleues et de leur supplique aux russes. Tout ça pour dire qu'à chaque nouvel effort solo de Sting, le calvaire recommencera : première écoute pleine d'espoir et frustration finale. Ça va durer deux-trois opus et puis je me désintéresserais complètement de ses productions. Si j'ai aimé certains singles - "All this time" ou "Fields of gold" - aucune déflagration comparable aux saintes-écritures de 78 ou de 83 n'est venue récompenser ma bonne volonté. Parce que justement, pour Sting aussi, l'enthousiasme avait laissé la place à la bonne volonté. Cette chanson, qui devait devenir un hit, avait cependant un gros mérite : rappeler qu'en amour, la liberté de l'une prévaut sur les diktats de l'autre. Et croyez moi, rappeler cette évidence, même en 1985, ce n'était pas du luxe. Nos sœurs avaient été abreuvées de "Tu m'appartiens…" braillé comme un veau par Christian Delagrange et le rock avait mis plus de vingt cinq ans pour passer de "Avec moi, faut filer droit !" (Eddie Cochran ; "My way") à "Set them free"...



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