Tatie Pette, Kim et René
Tatie Pette, c'était la voisine de mes parents. Le tempérament d'Ava Gardner allié au maniement impeccable du hachoir. Dans sa petite boucherie, elle découpait hardiment le charolais tout en jetant de temps à autre à Kim, son dalmatien, un morceau qu'il attrapait au vol. À ses cotés, en blouse blanche, officiait René son mari, filiforme, incroyablement élégant, égayant la boutique d'un humour vache, un bras à jamais déformé par la polio. Incollable sur les mystères de l'automne 44, il savait qui avait descendu qui ou rafalé telle vitrine, connaissait l'identité de tel macchabé retrouvé au milieu des bois. Cette drôle de cueillette lui conférait un recul sur les aléas de l'existence, une absence de jugement sur la nature humaine peu communs. Tatie Pette et René adoraient prendre l'apéritif au soleil déclinant ; sur leur terrasse, ils semblaient méditer en fumant des Gitanes. L'été de mes dix ans, qui fut son dernier, René m'appelait dès qu'il m'apercevait derrière le grillage :"Pascal, viens vite ! Y'a le tennis féminin !". N'ignorant rien des dessous de la Libération, René était incollable sur ceux de Chris Evert. Pendant ce temps, non loin du bac à poissons, Kim arrosait consciencieusement les sapins de Noël replantés qui crevaient les uns après les autres. Un jour de mes trois ou quatre ans, Kim m'avait confondu avec un sapin mais moi, j'avais survécu. Ce qui ne tue pas rendant plus fort, Noël, c'était aussi le moment où Tatie jouait les supplétives dans la charcuterie réputée de la Grand' Rue. Un midi, tout en tenant la caisse, elle se mit à hurler (je ne sais plus dans quel ordre…) son amour pour le rosé de Provence et pour Jacky, le patron de la charcuterie. Le scandale fut total et quelques temps plus tard, elle filait en désintoxe. On ne pensait plus jamais la revoir et on en éprouvait un vif chagrin. Mais, tel le Sol Invictus des Anciens, Tatie Pette était un soleil invincible. Elle revint apaisée, philosophe et entama une carrière de globe-trotteuse. Elle me ramenait des Rothmans d'Israel ; de Moscou, des clopes aux énormes bouts filtres. Elle reprit sa place sous la tonnelle de mes parents ; si la raison lui interdisait désormais certaines folies (d'autant plus qu'un Ricard de mon père en valait trois du commerce…) sa passion pour la Provence était toujours vive.
Les bouchères, c est un mystère. Une copine parlait toujours de la fille de la bouchére quand elle souhaitait souligner la banalité d une personnalité, il me manquait du code alors. Merci pour ce joli portrait d une bouchère et du rosé.
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