Atakito

 Un petit homme, triste comme un épisode de Maigret, la pipe, comme lui, constamment vissée au bec, venait régulièrement déposer des affichettes d'"Atakito le magicien" sur le zinc du "Montlosier". Le tour accompli, il disparaissait dans les étages du vieil immeuble qui accueillait, en plus de ce bar minuscule, une vénérable comtesse que l'on ne voyait jamais. Pour le reste, rien ne dérogeait aux mœurs de l'époque : ni la fumée opaque ; ni les œufs durs sur le comptoir ; ni l'arcade "Galaga" pas plus que le juke-box gavé d'euro pop. Grace à mon obole, des quarante-cinq tours de rock'n'roll s'invitaient souvent sur l'énorme crincrin ; souvenirs de surprises-parties glissés sous le capot en plexi par le patron, un sosie du vigile des "Valseuses". C'est dans cet endroit que je devais, non pas manquer de toi, mais entendre pour la première fois le nom de Jean-Louis Murat. Son premier succès se faisait attendre et un graffiti "Suicidez-vous, le peuple est mort !" allait égayer encore longtemps les environs. Quelques musiciens, exfiltrés d'un studio d'enregistrement tout proche, parlaient de lui avec des airs de conspirateurs : il avait signé ; les maquettes étaient superbes ; l'ange déchu n'allait plus tarder. Jusque-là, la France n'avait jamais vraiment donné dans la mélancolie Batcave. Marquis de Sade, après deux petits tours, avait fini par remballer et jouait les requins de luxe sur les premiers efforts d'Étienne Daho. Ce grand jeune homme, fan éperdu de Françoise (Hardy), deviendrait LE "Boss of the pop" hexagonal. Et, pour l'instant, Jean-Louis Murat, son double maléfique et tendre, ne faisait qu'occuper les discussions des initiés.

Illustration : "Entrée libre"- France Cinq - Octobre 2018




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