Le Dit de la salope cool et de la blague qui tue

   Parfois on démarre une histoire, un groupe ou la scientologie comme une blague. Et puis la plaisanterie finit par durer au point de devenir votre raison de vivre. Ou peut-être bien votre boulet. "Méfiez-vous de votre souhait le plus cher car il se réalisera" prévient l'adage. C'est un peu l'histoire de Julia Shapiro, chanteuse-guitariste-batteuse-twitto auto-proclamée "Cool slut".

Bien que le fait soit techniquement impossible, la chanteuse sonne comme une punkette qui, tout bébé, aurait collé l'oreille à la porte du local de répétition des Byrds. Captant une grande partie de la recette miracle ; mais pas tout. Ce qui confère à Julia ou à son groupe, Chastity Belt, une versatilité mélodique incroyable. Passant, en une demi-douzaine d'albums, d'un punk enjoué à une pop beaucoup plus sombre avant de délivrer, dans leur dernier opus, une folk hantée que n'aurait pas renié McGuinn. En se moquant pas mal de la technicité dont il conviendrait de faire preuve pour esbroufer la rock critique. Chez des américaines costaudes mais fragiles, tant d'exploits laissent forcément des traces. Acclamées, réclamées puis révélées au profane par Courtney Barnett, Julia et ses femmes ont bien failli y laisser des plumes. Passage sur le billard, coup de mou, triste litanie d'excès publicitaires qui, pourtant, venaient couronner à l'heure dite six années d'efforts. On aurait pu les croire touchées-coulées par des promesses que d'autres avaient tenues pour elles. 

Que nenni ! Tandis que la covid renvoyait gueux et cavaliers aux vestiaires, Julia Shapiro, Annie Truscott, Gretchen Grimm et Lydia Lund se recentraient, tentaient de nouvelles choses, maquettaient. Comme si, le monde leur fichant de nouveau la paix, elles se retrouvaient dans le cocon de leurs piaules, à faire enfin ce que bon leur semble tentant, surtout, de résoudre l'improbable quadrature du coût de la vie et de sa qualité. Epaulée par Jay Som - jeune productrice ressuscitant l'aplomb minimaliste d'un Sam Phillips - Annie, la bassiste, offrait "And other things", un mini Lp renversant, plein à craquer de déserts, de crépuscules, de douze cordes et de tendresse. Gretch, la batteuse et Lydia, la guitariste, se lançaient résolument dans l'invendable. Enfin, l'automne dernier, remise sur pieds et couvée aux œufs-au lait par ses amies musiciennes, Shapiro, déjouant tous les pronostics vitaux, livrait avec l'album "Zorked" une musique lourde, puissante, gorgée de weed et de tarot. Elle trouvait également le moyen de réaliser des chansons éducatives pour la prévention de la covid tout en soutenant, pendant les municipales de Seattle, une candidate radicale prônant la disparition de l'institution pénitentiaire.

Je vous conte des prouesses qui étaient le quotidien d'une centaine de groupes, voilà vingt ou trente ans. Sauf qu'alors, la plupart ne faisait pas de placement en rayon tôt le matin ou ne tentait pas d'élever un gosse après une nuit de service au comptoir ; au pire, le bassiste succombait à un trop plein d'héroïne, pas à un burn-out par énième changement de couches. Tel est le rock aujourd'hui : de plus en plus souvent porté à bout de bras par des américaines trentenaires, il n'y a plus que des anglais octogénaires pour en vivre largement. 





Photo : Bree McKenna et Stacy Peck (avec l'enfant) avec qui Julia Shapiro (avec la guitare)
officie au sein du très recommandable trio "Childbirth".

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