Traîtres

   Je demande si on vend du pain sans gluten. La vendeuse me répond que non. "Mais on a un pain à l'épeautre, c'est presque pareil. Y'a très peu de gluten...". Elle doit penser : "Encore un traître, un qui se débine. Un qui ne veut plus entendre parler de céréales. Encore un gauchiste qui ne joue pas le jeu..."  Revenu à la maison vide, je lance C-News et découvre en direct Christine Kelly, Zemmour et Pascal Praud. On les croirait cornaqués par Hibernatus. Semblables à des parvenus du Second Empire qui médiraient de leurs bonniches, ils dégoisent sans fin sur les traîtres d'en haut, d'en bas, les pédés masqués, démasquées féministes et gauchiasses voilées. Sur les squatteurs, tricheurs, les écolos, les Noirs, les bouffeurs d'allocations et spoliateurs de villas. Sans oublier ce veuf du Bataclan, ce type dont ils n'auront pas la haine, pour eux le pire de tous. Moi, je reluque mes babouches Airplum. Elles ont un petit drapeau français sur la couture, mais je sais déjà que ça ne me sauverait pas de leur machette. Quinquanar éloigné de l'empoi, paresseux saturé de makrouds, je suis le traître idéal. Daesh, c'est aussi moi.

  Finalement, j'ai trouvé du pain sans gluten. Je le mâchouille en lisant les tweets de mon idole, la chanteuse Julia Shapiro. Elle ne chante plus en public depuis le couvre-feu mondial, mais aujourd'hui son moral est meilleur. Elle vient de découvrir un graffiti anti-Trump écrit au Lip stick sur le miroir des chiottes pour dames d'un bar de Seattle…

Crédits photo : Corinne Luchaire au procès de son père - Janvier 46