Cauchemar pavillonnaire

« Ce qui est fascinant dans le monde de l’entreprise, c’est que quasiment tout le monde y croit. Cette profonde adhésion à la fiction professionnelle va de pair avec ce mal contemporain qu’est la disparition de l’esprit critique. Un lent délitement collectif de la capacité à construire un discours critique qui est vraiment le propre de nos sociétés post-modernes. Je le constate quotidiennement : personne ne prend de distance, ni ne remet en cause ce qui est vu comme un état de nature indépassable.
Comme si c’était évident. Évident qu’il faille être performant, efficient. Que la fin justifie les moyens. Que l’intérêt de la direction et des actionnaires est plus important que celui des salariés. J’y vois une forme d’injonction paradoxale. Parce que par ailleurs, et de mille manières, dans le spectacle permanent du narcissisme et de l’égotisme, tout concourt à la conviction que mon intérêt individuel doit l’emporter, quoi qu’il en coûte ’’aux autres’’. Après la parution du Cauchemar pavillonnaire, certains m’ont reproché ce qu’ils voyaient comme du mépris. Sur le mode : si les gens sont heureux ainsi, tu n’as pas le droit de gâcher leur bonheur. Comme si le bonheur était une catégorie intouchable, et qu’il était interdit d’y porter atteinte. C’est quelque chose qui ne signifie rien pour moi – il y a des tortionnaires très heureux, et des tueurs en série qui s’éclatent. Ça ne veut rien dire. Je ne vois qu’une chose : nous sommes englués dans une idéologie, et la justification de cette idéologie est portée par l’image du bonheur. Il s’agit simplement d’un artefact. Je comprends que ceux qui le vivent se persuadent qu’il s’agit du bonheur. Mais qu’on ne me demande pas de croire que le fait de devenir propriétaire d’un pavillon, d’une voiture de marque et d’enfants promis à un avenir d’ingénieurs soit la marque d’une vie réussie. »

Jean-Luc Debry-Article 11

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