British Sniper
La sortie du film de Clint Eastwood sur le sniper Kris Kyle m'a remis en mémoire un texte écris voilà déjà un petit moment. C'est un dialogue entre un vétéran de Waterloo et un type qu'on imagine être procureur...
Vous serviez dans quelle unité?
Les rifles. Le régiment d'Essex. On
avait les meilleures armes.
C'était une unité d'élite?
Je suppose qu'on dirait ça
aujourd'hui.
Beaucoup de tireurs d'élite nous
disent que les visages de leur victimes ne les quittent plus.
Je ne sais pas pour les autres. Pour moi,
ça n'a jamais été le cas.
Vous ne vous souvenez d'aucun visage ?
Sauf votre respect, m'sieur, y'en a eu
tellement... p'têt un officier. Il encourageait ses hommes à
avancer. Et puis il nous a vu. Il portait des moustaches
tombantes. Son uniforme était tout déteint par l'eau. Il nous a vu,
il s'est dit « merde! ». Un brave type qui faisait son
boulot.
Tout comme vous?
Exactement.
Vous ne buvez pas?
Jamais m'sieur. Même aujourd'hui, pas
d'excitant. Un peu de café, le plus souvent de l'orge grillé.
Que ressentiez vous au moment de
tuer ces hommes?
Un grand calme. Il faut être tout à
son affaire à ce moment là.
Beaucoup des hommes que vous avez
tué devaient avoir une famille, des enfants?
Oh très certainement, m'sieur. Mais si on tenait à ses enfants, il était bien facile de
quitter un champ de bataille. Le nombre de types que j'ai vu
déguerpir. Vraiment, c'était facile de foutre le camp. J'ai même
vu un régiment entier foutre le camp. Les hussards de
je-ne-sais-plus-quoi. Ils ont tous tourné brides au moment de
charger. Nos officiers étaient durs. Mais vous savez, entre les
mouvements de panique et la fumée, t'as toujours moyen de tourner
les talons.
Et vous même, n'avez vous jamais
été tenté par la désertion?
Non.
Vous n'avez aucun sentiment de
culpabilité?
Pourquoi ça ? Je n'ai laissé personne
unijambiste ou rongé par la gangrène. Ou avec la moitié de la
gueule emportée.
Vous avez des enfants?
Non
Vous auriez aimé en avoir?
Je ne sais pas. L'occasion ne s'est pas
présentée. Remarquez que j'en côtoie souvent. Dans mon métier de
colporteur, les enfants sont les premiers à venir me voir.
Vous leur racontez votre passé de
soldat?
Des fois, oui.
Que leur dites vous?
Vous savez, les enfants voient la
guerre comme un jeu. Moi, je leur dis que si ils veulent être
soldats et bien il faut être un rifle man. Il faut être calme et
patient. Même plus que ça. Ce n'est pas facile d'être un rifle man.
Pour ceux qui aiment les canassons et bien rien ne vaut la lance.
Pas grand-chose ne peut arrêter un bon lancier. A part un bon rifle
man.
Vous aimez les chevaux?
Non. Je les ai toujours craint.
Savez vous lire?
Oui, m'sieur. Ma
mère m'a appris à lire.
Comment était votre mère?
Elle était comme
bien des mères je suppose.
C'est à dire?
Courageuse, drôle, aimante.
Vos parents s'entendaient bien?
Je puis dire que
mes parents s'aimaient. Véritablement.
Votre père était militaire?
Pas du tout. Mon
père était maître-ouvrier-charpentier sur les chantiers navals. Et
il n'avait pas une grande estime pour les militaires.
Et il vous a laissé vous engager?
Je me suis engagé
après la mort de mon père. Il est mort pendant la grande épidémie
de choléra.
Vous vous êtes donc engagé par
nécessité?
Pas vraiment. J'ai
laissé tomber l'imprimeur chez qui je travaillais et je me suis
engagé dans le régiment d'Essex.
Et votre mère ?
Entretemps ma mère
s'était remariée. Avec un ami de mon père. Un brave homme que je
connaissais depuis longtemps et que j'aimais bien. Je pouvais donc
partir l'esprit tranquille, ma mère ne manquerait de rien.
Vous me semblez être quelqu'un
d'assez solitaire, peu fait pour supporter la caste des officiers. Je
me trompe?
Y'a du vrai dans
ce que vous dites.
Alors, qu'alliez vous faire dans un
régiment?
J'allais apprendre
à désobéir.
A désobéir?!
Oui. A mon
estomac, à mes pieds, à ma peur. Aux maisons dont on arrache les
portes et les volets pour faire du feu. Au mourant dont on arrache
les bottes, le froc, la montre ou quelques pièces. En Belgique,
après l'affaire des Quatre-Bras il y avait tant de cadavres que
notre artillerie roulait dessus allègrement. Ils se soulevaient
sous les roues des canons comme pour nous saluer avant de retomber
dans la boue. Nous leur rendions leur salut en leur souhaitant la
bonne nuit. Ce n'était pas très malin, je l'avoue...
Sans doute y avait il des
mourants dans le tas?
Il y avait de
tout, oui. Et même des gars de chez nous qu'on n'avait pas pris la
peine de relever...
Racontez vous cette scène aux
enfants?
Pour qui me prenez
vous?
Que trouve-t-on dans votre hotte de
colporteur ?
Des images
édifiantes. Les naufrages célèbres. Des petites histoires bon
marché, des remèdes, du fil à coudre...
Avez vous une histoire préférée
parmi celles que vous proposez?
Oui, celle du
Prince Noir.
De quoi traite ce livre?
C'est l'histoire
d'une gamine qui sauve un cheval de la boucherie. Pourtant, je n'aime
pas les chevaux. Mais elle est belle cette histoire. La gamine
baptise le cheval « Prince noir » et ils se mettent à
gagner des prix. J'aime proposer ce livre aux enfants. Mais
y'a des grandes personnes qui l'aiment bien aussi.
Vendez-vous des récits de crimes?
Oh oui! Ça, ça
marche bien.
Que pensez vous des criminels dont
vous vendez l'histoire?
Tout dépend. Faut
voir au cas par cas. C'est bien pour cela qu'il y a des juges et des
tribunaux. Ceux qui s'en prennent à des enfants, à des vieilles
gens, ceux là ne méritent pas de vivre.
L'armée dans laquelle vous serviez
a fait périr des enfants et des vieilles gens comme vous dites...
sans doute. Mais
en tout cas, pas par volonté. Un obus, ça tombe où ça peut. Surement qu'un jour, on saura mieux les guider et on évitera
tout ces drames.
Une guerre propre en somme?
Mais c'est ce que
j'ai fais.
Une guerre calme...
...
...
Seriez vous capable de
tuer quelqu'un aujourd'hui?
Bien malin qui
peut répondre à cette question par oui ou par non. Je n'en sais rien.
En tout cas, je n'ai jamais tué personne sur un coup de tête.
Vous avez toujours tué votre
prochain calmement...
Vous même, avez vous déjà tué ?
Jamais !
Et ça ne vous
manque pas ?
Mon Dieu non !
Des fois moi si.
Ce grand calme crucial. Vous sentez votre sang circuler dans vos
veines. Vous êtes tout à votre affaire. Comme si le monde entier se
concentrait dans votre œil.
Voulez vous dire que vous n'êtes
jamais si vivant que lorsque vous tuez ?
C'est une phrase
trop savante pour moi, m'sieur...
Mais, à bien y
réfléchir, il se peut qu'il y'ait de ça.
Et ça ne vous semble pas
inquiétant?
Ce que je faisais,
je l'ai toujours fait à la vue de tout le monde. Et ça ne semblait
pas inquiéter mes chefs. Pas plus mes officiers que le Duc ou le roi
Georges. Et ils sont sensé savoir ce qu'ils font ces gens là et
savoir qui ils emploient, pas vrai? Tenez, en Belgique, j'ai vu le Duc
prier. Il paraît qu'il a pleuré tout ce qu'il a pu en entendant
les noms de ses amis morts au combat. Il avait des sentiments cet
homme, non?
Monsieur Huxley, nous ne sommes pas
ici pour parler du Duc ou du défunt roi mais de vous!
Mais comprenez
bien que sans ces deux là, je n'aurai peut être jamais tué
personne! Ce n'est pas moi qui versait la solde aux régiments! Ce
n'est pas moi qui ait inventé la poudre, ni payé les canons!
Si je comprend bien, malgré votre
appétit à tuer, vous n'avez pris aucune part à la brutalité du
monde ?!
La belle affaire!
Me dire ça ici et maintenant! L'ai-je seulement créé le monde?
J'aurais peut être apprécié qu'une voix céleste vienne me dire:
« tu fais fausse route, mon garçon! ». Mais je n'ai
jamais rien entendu de tel!
Pas même la voix de votre père?
Laissez mon père
en dehors de ça !
Pourtant vous risquez fort de le
croiser ici...
…
alors?
Je verrais bien ce
qu'il me dira. Il me demandera des nouvelles de ma mère. Mais
certainement pas des comptes sur ce que j'ai pu faire ou ne pas
faire...
Croyez vous en
Dieu, monsieur Huxley?
Je suis bien
obligé, maintenant...
Très bien, alors entrez, je vous en
prie.
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